Avons-nous encore l’esprit entrepreneurial ? Pourquoi avons-nous si peur de l’échec et du jugement ? Avons-nous une aversion pour le risque ? Avons-nous encore les capacités et l’organisation nécessaire pour pouvoir innover au sein de nos entreprises ? Voici quelques extraits de mon livre sur ces questions.
La disparition de l’esprit entrepreneurial – L’esprit entrepreneurial est-il en passe de disparaître en France ? Dans son livre L’art d’entreprendre, Hamid Bouchikhi note que « seulement 36 % des Français croient en la libre entreprise, contre 67 % des anglais, 71 % des Américains et 74 % des Chinois (et que) 70 % des 13-25 ans estiment préférables d’entrer dans le service public (…) alors même que 46 % d’entre eux auraient envie d’être leur propre patron s’ils avaient le choix». « L’image que les jeunes ont du monde professionnel ne les incite pas à prendre des initiatives, (n’entendant) parler de l’entreprise qu’à l’occasion d’un plan social ou d’un scandale financier (…), note l’auteur. Pourtant, « sur les vingt dernières années, les entrepreneurs ont créé 2,5 millions d’emplois ». Aussi pour redonner le goût d’entreprendre, des associations comme l’Association Jeunesse et Entreprises (AJE) demandent à des créateurs d’entreprises ayant réussi de venir témoigner devant des jeunes et de promouvoir des entreprises de « croissance », appelées à grandir, grâce à l’innovation, la performance et l’exportation.
La peur de l’échec et du jugement – La peur de l’échec est particulièrement vive dans l’Hexagone. Notre système éducatif utilise la sanction comme aiguillon. Il entretient l’illusion de la perfection, avec l’inatteignable moyenne de 20 sur 20. L’élève peut donc toujours mieux faire, suivant la formule consacrée des professeurs sur les bulletins scolaires ; ce qui en stimule certains, mais en décourage complètement d’autres. Le système de notation encourage la formulation de jugements qui réveillent aisément la culpabilité quand la note est mauvaise. Un mécanisme qui perdure, plus tard, dans la vie professionnelle, le ressort de la culpabilité étant ainsi très présent dans notre culture et notre éducation.
A l’exigence, perfectionniste et finalement démotivante des Français ou des Japonais, s’oppose le positivisme des anglo-saxons. Leur système de notation fonctionne d’ailleurs à l’inverse du nôtre, puisqu’ils notent à partir de 0 et nous de 20. Dans leur système, l’élève est davantage valorisé par son professeur et félicité s’il travaille bien ou progresse. Tout est fait pour susciter l’intérêt de l’enfant et le pousser à s’instruire. La pédagogie ludique est favorisée. Le principe de plaisir prime sur le principe de l’effort.
Une aversion pour le risque – Notre éducation ne nous encourage pas à prendre des risques. Dans son livre « Français, Américains l’autre rive », Pascal Baudry, fait un lien entre la peur du risque et les valeurs transmises aux enfants au travers de deux contes, l’un français, « La chèvre de Monsieur Seguin » dans « Les lettres de mon Moulin » d’Alphonse Daudet, l’autre américain, « The Little Engine That Could ». Dans le premier, la petite chèvre est punie pour avoir brisé ses liens et voulu satisfaire sa curiosité, alors que dans le second, une petite locomotive a réussi, à elle seule, à faire passer de l’autre côté de la montagne un train rempli de jouets; défi que d’autres machines plus grandes et plus expérimentées n’avaient pas eu le courage de relever. Son secret : se persuader d’en être capable en se répétant « je pense que je peux, je pense que je peux… »
L’auteur montre encore que cet apprentissage vis-à-vis de la prise de risques vient de loin en comparant l’attitude des mères américaines et françaises dans une aire de jeux. Il a remarqué que les premières se conduisent très différemment des secondes. Elles laissent leur enfant avec pour seule recommandation : « Go, have fun ». S’il tombe, elles le réconfortent brièvement et l’encouragent à repartir faire ses expériences. A l’inverse, les Françaises commencent bien souvent par donner toutes sortes de recommandations : « ne t’éloigne pas », « ne parle pas à des étrangers », « reste là, je veux te voir »… Si l’enfant désobéit, tombe et pleure, elles réagissent alors avec des phrases du type : « je te l’avais bien dit », « tu n’écoutes pas », « tu n’en fais qu’à ta tête », « tu ne peux pas faire attention! »… Ainsi, quand une Américaine dit à son enfant « you can do it », elle lui octroie le droit à l’erreur et tout échec devient une opportunité d’expérimenter les limites et d’apprendre à se confronter au danger. « Ce qui inscrit les Américains dans la culture du faire, sinon, il risque d’être considéré comme loser », remarque Pascal Baudry. Tandis que la mère française, de par son attitude plus protectrice vis-à-vis de l’exploration, va engendrer des comportements d’évitement du risque, en présentant la réalité comme « inhospitalière, voire dangereuse ».
Or, c’est plus que jamais durant les crises qu’il faut savoir oser et faire preuve d’audace. C’est d’ailleurs, dans ces moments-là que se profilent les meilleures opportunités.
Cette crainte vis-à-vis du risque serait en progression chez les jeunes, à en croire une étude[1] qui a permis d’observer chez les écoliers français de 15 ans une absence de prise de risques, observe Claude Sauvageot, chef de la mission aux relations européennes et internationales à la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance au Ministère de l’Éducation Nationale. « Ils préfèrent ne pas répondre que de donner une réponse fausse. »
On peut comprendre qu’aujourd’hui une majorité de salariés, surtout s’ils ont 50 ans et plus, choisissent de faire le dos rond, en attendant leur retraite pour, enfin, faire ce qui les motive réellement. Actuellement, bouger, évoluer, changer de poste ou d’entreprise n’est pas sans risques ; la mobilité et la flexibilité de l’emploi étant faibles. Pour autant, rester dans une prison dorée, ne pas quitter un poste ou une entreprise où on s’ennuie, parce qu’on croit y être en sécurité et ou parce qu’on est bien payé, n’est pas exempt de danger si la situation se dégradait. Les cadres qui ont préféré l’immobilité peuvent se retrouver dans une situation analogue à ceux contraints de courir un 100 m sans aucun entraînement !
Bien sûr la prise de risque peut être ou non couronnée de succès. Les Chinois l’illustrent dans l’idéogramme qui le représente, celui-ci signifiant à la fois danger et opportunité. Mais si nous voulons innover, donner du piment à notre vie et assurer notre futur et à celui de nos entreprises, prendre des risques est vital.
[1] Étude tirée des observations faites lors des tests Pisa sur les élèves de 15 ans qui montre une absence de prise de risques.
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