Les femmes sont encore peu nombreuses à atteindre les plus hauts niveaux de responsabilité. Les raisons de cet état de fait sont multiples: certaines viennent d’elles-mêmes, d’autres d’héritages séculaires sur la position de la femme dans la société sans compter qu’elles viennent faire de la concurrence aux hommes à des niveaux où les opportunités de poste se font rares.
Le fameux plafond de verre existe toujours. Lors d’une conférence organisée par l’ESSEC au féminin en 2007, des dirigeantes de haut niveau évoquaient leurs difficultés à se frayer un parcours dans un monde dominé par les hommes. Véritable parcours du combattant, chacune avait dû faire face à de violentes réactions, mélangées souvent d’un certain mépris. De plus, elles avaient l’impression (souvent bien réelle) qu’à compétences égales, elles devaient en faire deux fois plus, pour se rendre plus visibles. « L’univers de l’entreprise est à forte dominante masculine, observe Ingrid Bianchi. Les femmes ne sont pas dans leur élément naturel. Elles doivent se forcer pour s’adapter. La perspective qu’elles soient de plus en plus nombreuses à des postes à forte responsabilité devrait changer la donne.».
La maternité, un obstacle insurmontable?
– L’un des premiers arguments soulevés pour expliquer une telle disparité entre homme et femme est la maternité. Les fonctions à haute responsabilité nécessitant une grande disponibilité, elles sont difficilement compatibles avec une vie de famille. Bien souvent, les grossesses, puis le besoin de disponibilité pour leur famille, les gênent dans leur évolution de carrière. Il est vrai aussi que le fait d’interrompre sa carrière est un frein d’autant plus fort qu’il intervient souvent à l’âge où l’entreprise repère ses dirigeants de demain. On ne peut nier l’obstacle, mais il est plus insurmontable dans les esprits que dans la réalité. Cet argument de la maternité et de l’absentéisme, accru du fait des charges familiales, ne suffit pas à expliquer la présence de ce plafond de verre, car les femmes n’ayant pas d’enfant subissent le même ostracisme.
Trop de doutes sur leurs compétences
– D’autres éléments font obstacle à l’évolution des carrières des femmes qui sont de leur fait. Si les hommes ne pensent pas spontanément à nommer une femme à un poste demandant de lourdes responsabilités, les femmes sont aussi, d’une certaine manière, complices de cet état de fait. En effet, l’une des clés de la réussite est la capacité à se promouvoir et à communiquer sans complexe sur sa performance. Or les femmes sont, à ce jeu-là, on l’a dit, moins bonnes que leurs homologues masculins ; elles savent moins bien se mettre en valeur.
Elles ont majoritairement plus de difficulté à reconnaître leurs propres performances et à s’en satisfaire. Selon une enquête réalisée auprès d’étudiants de MBA aux Etats-Unis, 70 % des femmes interrogées évaluent leur performance comme équivalente à celle de leurs collègues, tandis que 70 % des hommes s’estiment, eux, meilleurs que leurs collègues. De quoi faire réfléchir ! Plus diplômées à poste équivalent, elles craignent pourtant de ne pas être à la hauteur, de ne pas avoir les compétences. Elles ont souvent trop de doutes et se remettent parfois trop en cause. Les hommes se positionneront ainsi sur un poste, même s’ils n’ont que 50 % des compétences requises, alors que les femmes s’inquiéteront de n’en posséder que 80 %…
Elles auraient aussi plus de mal à se projeter dans la réussite et plus de difficulté à saisir ou provoquer les opportunités de promotion. Elles paraissent, de fait, plus passives, plus attentistes, moins dans la compétition : si elles se sentent compétentes pour un poste à pouvoir, elles ont tendance à attendre qu’on vienne le leur proposer. Du coup, chez Barclays France, un système a été mis en place pour pousser les femmes à postuler sur des postes à responsabilité. En effet, le choix d’un candidat à un poste ne se faisant qu’à partir des seules candidatures, la sélection risquait sinon d’être exclusivement masculine. Pour pallier ce risque, il est demandé que, pour tout poste vacant, soit présentée au moins une candidature féminine. Pour autant, la personne retenue est celle qui paraît être la plus compétente.
Une difficulté de représentation du management au féminin
– Elles se brident souvent en considérant certains postes comme masculins, selon des images, des stéréotypes venant de l’éducation. En fait, l’avènement de femmes au pouvoir étant récent et leur nombre restreint, il n’existe pas encore suffisamment de modèles de références pour les autres. Plus elles seront nombreuses, plus les représentations du pouvoir se diversifieront et plus il sera naturel de chercher un dirigeant, aussi bien parmi les femmes que les hommes. « Les femmes ont, en effet, un problème de représentation de la femme qui réussit, reconnait un DRH d’un groupe d’assurances. Plus elles seront nombreuses dans les COMEX, plus il y aura d’exemples de registres comportementaux différents. »
Un manque d’esprit réseau
– Aujourd’hui, pour gravir les échelons, ce ne sont plus les seules compétences qui priment- en général elles sont acquises-, mais la connaissance des règles du jeu, la capacité à se mettre judicieusement en avant, à avoir un réseau, à l’extérieur de l’entreprise comme à l’intérieur. Si les clubs réservés aux hommes existent depuis fort longtemps, les réseaux féminins émergent seulement depuis quelques années.
« L’absence d’esprit réseau est un des gros freins à leur promotion à des postes à responsabilité, estime Corinne Moreau, DRH Speedy France. Les femmes ont peu l’habitude des échanges de services avec leurs collègues ». Or, pour progresser, il faut repérer les personnes de confiance et se rendre mutuellement service… « Le réseau est quelque chose qui s’entretient, s’alimente, se construit, remarque Ingrid Bianchi. Il faut préparer un discours, aller vers les autres, se mettre en scène. Il y a des enjeux de compétition ». Pour cette spécialiste du recrutement, « les femmes, si elles savent s’entraider et se montrer solidaires entre elles dans leur vie privée, sont spontanément plus méfiantes dans leur vie professionnelle. Elles sont moins dans l’échange et le partage dans cet environnement-là. Elles sont aussi moins stratèges, avec un sens de l’anticipation moins développé et quand elles se reconnaissent compétentes, elles s’imaginent à tort que cela va suffire pour être promues. » Elles ont aussi plus de mal à trouver un mentor, comme le souligne l’étude Catalyst[1] (2010) menée auprès de diplômés de MBA.
Une certaine misogynie
– On peut accuser certains hommes de misogynie ou leur crainte de la concurrence féminine, mais ils ne sont pas les seuls responsables de cette situation. Le pire ennemi de la femme peut aussi être la femme. Si elles ne le clament pas sur tous les toits, beaucoup de femmes, comme leurs homologues masculins, préfèrent avoir un homme comme patron, car force est de constater ici encore que, ce que la société acceptera d’un homme, même s’il est caractériel ou dur, elle ne l’acceptera pas autant d’une femme.
Un mode de sélection bâti pour les hommes
– « Aujourd’hui encore, les femmes qui sortent du lot ont parfois des comportements qualifiés, à tort ou à raison, de masculin, avec une affirmation de soi extrêmement forte, une directivité exacerbée, un activisme très développé et une détermination hors du commun, remarque un DRH d’un groupe industriel. Elles paraissent extrêmement solides, capable de sang froid. Au départ, elles font l’admiration pour leurs qualités énergétiques. Même leur agressivité peut plaire au moment de leur embauche. Mais cette tendance relativement acceptée quand elles sont jeunes, provoquent, avec le temps, de vives réactions. Elles finissent par exaspérer et fatiguer leur entourage ».
« Dans un souci d’efficacité, d’équité, nous évaluons les femmes comme les hommes. remarque un autre dirigeant d’un groupe d’assurances. Nous faisons, en outre, l’erreur de les sélectionner sur les mêmes critères de qualité et le même référentiel de compétences que les hommes, sans tenir compte de leurs spécificités et de leurs différences. Du coup, nous recrutons souvent des femmes qui ont des qualités masculines et qui, finalement, se révèlent parfois infernales et hystériques, dures, autoritaires, très exigeantes et dans l’hyperactivité. » . Quand elles ont un comportement plus masculin que féminin, ils considèrent qu’elles ont les mêmes défauts de certains hommes… mais parfois en pire ! Aussi pour que la promotion des femmes soit un vecteur positif de changements, leur sélection doit donc impérativement prendre en compte leurs spécificités en tant que femmes.
[1] Organisation canadienne fondée en 1962 par Felice N. Schwartz pour aider les femmes à entrer dans le monde du travail
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