Cet article de Business O Féminin (de Claire Bauchart – 26.01.2014) traite d’un sujet qui me tient à cœur (cf. mon livre : Prendre des risques pur réussir) en dénonçant une fois encore le problème du tabou de l’échec en France.
La France fait partie des pays qui continuent à stigmatiser l’échec entrepreneurial. Dans cette enquête exclusive de Business O Féminin, des chefs d’entreprises vous révèlent pourquoi il faut revaloriser la prise de risque et l’échec qui peut en résulter.
“ Pour un chef d’entreprise, l’humilité est fondamentale. Il doit savoir se remettre en question. Généralement, cela n’est possible qu’après quelques baffes ! Alice Zagury, co-fondatrice de The Family”Ils sont plus de 63 000 chefs d’entreprises à avoir mis la clé sous la porte l’année dernière dans l’Hexagone. Une situation d’autant plus préoccupante que, selon une étude publiée dans The Economist, la France serait le pays européen où la durée entre l’échec d’une société et le rebond de son fondateur est la plus longue : pas moins de 8 ans. Et ce, alors que l’entrepreneuriat reste l’un des moteurs de la croissance. Ainsi, en 2012, plus de 65% des emplois créés au sein de l’Union européenne l’ont été par des entrepreneurs à en croire un baromètre Ernst & Young. Face à ces constats, certains montent au créneau pour revaloriser les notions de prise de risque et d’échec…
« Après la faillite de mon entreprise, j’ai mis plus d’un an à retrouver un travail. Lorsque j’envoyais mon CV, j’avais zéro réponse. » A 30 ans, rien n’oblige Dimitri Pivot à se lancer dans la création d’une entreprise. Il est directeur des achats au sein d’une grosse société, il gagne bien sa vie. Mais l’envie de monter sa propre structure le démange. Alors il plaque tout pour créer sa société de menuiserie. Après des débuts prometteurs, il est malheureusement contraint de mettre la clé sous la porte, mais ne s’attend pas à un tel chemin de croix pour retrouver un emploi salarié.
Un exemple parmi d’autres qui reflète une certaine stigmatisation de l’échec en France. C’est en tout cas ce que pointe Viviane de Beaufort, professeure à l’ESSEC et directrice du programme « Entreprendre au Féminin » de l’école de commerce. « Nous devons absolument changer notre regard sur l’échec entrepreneurial. La prise de risque est quelque chose de vertueux. » En ce sens, elle approuve la récente mesure prise par la ministre déléguée aux PME Fleur Pellerin, qui a permis de supprimer des fichiers de la Banque de France le fameux indicateur « 040 » recensant les quelque 144 000 entrepreneurs malchanceux ayant subi une liquidation judiciaire au cours des trois dernières années. Mais pour Viviane de Beaufort, plus qu’une réforme administrative, c’est un changement de mentalité qui s’impose. « Dans les pays anglo-saxons, se planter lorsque l’on crée une entreprise, c’est presque un plus sur un CV. Cela veut dire que l’on a osé et appris de ses erreurs. »
Dans les pays anglo-saxons, l’échec est plutôt un atout
Des propos que confirme Anthony Karibian. Installé à Londres, cet entrepreneur, cofondateur de deux sociétés (Euroffice, XLN Telecom), vient de lancer bOnline, une plateforme proposant aux entreprises d’assurer leur promotion sur la Toile. « Les meilleurs employés que j’ai recrutés avaient d’abord tenté de monter leurs propres sociétés. J’aime beaucoup ce type de profils. Il s’agit de personnes indépendantes, créatives, n’ayant pas peur de prendre des risques. Instinctivement, lorsque je reçois le CV de quelqu’un ayant travaillé cinq ans dans une grosse entreprise, j’ai des réticences. C’est un parcours un peu trop facile ! »
Un modèle qui pourrait bien inspirer la génération Y française. Cofondatrice de TheFamily, un accélérateur de start-up dont l’objectif est d’aider les jeunes entreprises à pérenniser leurs projets, Alice Zagury, 29 ans, préfère privilégier les candidats ayant essuyé un ou plusieurs échecs. « Les rares heureux qui réussissent du premier coup ont tendance à penser qu’ils le doivent à leur mérite. Or, le succès d’une entreprise est lié à un milliard de facteurs, dont la chance, explique-t-elle. Pour un chef d’entreprise, l’humilité est fondamentale. Il doit savoir se remettre en question. Généralement, cela n’est possible qu’après quelques baffes ! » La jeune femme, forte d’une expérience professionnelle en Floride, pointe ainsi les bienfaits du système américain du acqu-hire, condensé des verbes « acquire » (acquérir) et « hire » (embaucher). En clair, du recrutement par le rachat de start-up. « De grandes entreprises telles que Yahoo, Facebook ou eBay rachètent de petites sociétés vouées à l’échec. C’est pour elles un moyen d’investir dans du sang neuf. » Somme toute, une manière d’innover en se focalisant sur le positif à tirer à de chaque entreprise, même défaillante.
En France: une perception de l’échec de plus en plus contestée
Une manière de penser qui se heurte à la mentalité dominante en France, où « l’on ne peut pas s’empêcher de mettre en exergue ce qui n’est pas performant », dixit Philippe Laurent, coach en entreprise et auteur du Bonheur au Travail (2010). Le spécialiste affirme même que cette stigmatisation de l’échec à la française commence dès le plus jeune âge. « On le voit bien à la manière dont les copies sont corrigées dans certaines écoles. On se focalise sur la faute en accumulant les ‘peut mieux faire’. Si on ose mettre un compliment, on l’agrémente d’un ‘mais doit faire attention sur tel et tel sujet’. Cette attitude a un gros impact sur la confiance en soi. » Le manque de confiance en soi justement, est le plus grand frein à l’entrepreneuriat selon Philippe Laurent. Un malaise par ailleurs ressenti par bon nombre de Français selon une étude IPSOS, publiée en décembre 2013. 62% des personnes interrogées estiment ainsi que l’échec est difficile à surmonter dans le monde du travail. Plus des trois quarts des sondés considèrent par ailleurs que les entrepreneurs ayant fait faillite sont mal encadrés pour pouvoir rebondir.
C’est pour tenter de remédier à ce problème que Dimitri Pivot a décidé de mettre son expérience de chef d’entreprise malchanceux à profit en fondant Second Souffle, une association spécialisée dans l’accompagnement vers le salariat d’ex-entrepreneurs n’ayant plus les moyens ni l’énergie de recréer une société. La structure apporte également un soutien à ceux qui ont été fragilisés psychologiquement par une liquidation avec l’organisation, tous les premiers jeudis du mois, « d’afterfails ». Le principe : des rendez-vous dans des endroits conviviaux pour permettre d’échanger sur son échec, ses difficultés, etc. Dimitri Pivot entend également agir par le haut. Ainsi, le 13 janvier dernier, Second Souffle a lancé, avec trois autres associations (60 000 Rebonds, SOS Entrepreneur et Re-Créer), « Le Portail du Rebond », un site pratique renvoyant les entrepreneurs en difficulté vers des contacts adaptés, offrant une expertise juridique et comptable ainsi qu’un accompagnement. Le but est également d’organiser, en partenariat avec le ministère chargé des PME, le déploiement territorial de « Conférences du Rebond. » A croire que la volonté de faire évoluer les mentalités sur la perception de l’échec aurait atteint les hautes sphères de l’État…
@clairebauchart
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