Savoir comment reconnaitre un pervers et comment réagir est utile, particulièrement dans la période que nous traversons. La perversion est plus répandue qu’on ne le pense. Le comportement d’un pervers est souvent difficile à concevoir par une personne qui ne l’est pas. Il change de comportements en fonction de ses interlocuteurs et des situations, ce qui crée un malaise chez sa victime qui ne sait plus que penser. Le texte qui suit est extrait de mon livre.
C’est seulement au début des années 90 que « le harcèlement au travail a été identifié comme un phénomène détruisant l’ambiance au travail, nuisant à la productivité, favorisant l’absentéisme par les dégâts psychologiques qu’il entraîne », souligne Marie-France Hirigoyen[1]. Elle indique que « par harcèlement sur le lieu de travail, il faut entendre toute conduite abusive se manifestant notamment par des paroles, des actes, des gestes, des écrits, pouvant porter atteinte à la personnalité, à la dignité ou à l’intégrité physique ou psychique d’une personne, mettre en péril l’emploi de celle-ci ou dégrader le climat de travail. »
« Le harcèlement naît de façon anodine et se propage insidieusement », explique la psychiatre-psychanalyste. Dans un premier temps, il s’agit de piques, de brimades. Puis les vexations, les humiliations se font plus nombreuses et plus violentes. Les faits se déroulant sur une longue période, ces agressions usent peu à peu la victime.
Les victimes – Paradoxalement, les victimes de pervers ne sont pas particulièrement fragiles et ne sont pas atteintes d’une quelconque pathologie, quoiqu’essaye de faire croire l’agresseur. Elles peuvent être des personnes trop scrupuleuses, très (trop) investies dans leur travail, perfectionnistes, qui réagissent à l’autoritarisme excessif d’un chef, par exemple. Le pervers sent et sait trouver leur faille et s’y engouffre. C’est ainsi qu’il peut s’attaquer à une personne plutôt bien dans leur peau mais qui le dérange par sa droiture, son éthique et qui, par contraste, lui renvoie une image très négative de lui-même. Cette image lui étant insupportable, il réagit fortement en agressant et en essayant de « tuer » ce qui est bon chez sa victime. Il commence par la dévaloriser, lui reprochant par exemple d’être difficile à vivre, d’avoir mauvais caractère,…voire d’être folle. Plus la personne lui résiste, plus il l’attaque.
Aucun dialogue possible – Le pervers refuse tout dialogue ou toute explication avec elle, niant totalement son comportement. Il la disqualifie, la discrédite, l’isole, la brime, la pousse à la faute. Au bout d’un certain temps, la victime, étant poussée à bout, n’a plus de sens critique et finit par croire et par devenir ce que le pervers essaye de faire d’elle. Une fois fragilisée, elle doute d’elle-même, d’autant qu’elle a perdu toute efficacité et prête alors le flan aux critiques. A ce stade, elle n’est plus capable de se défendre car le pervers l’a épuisé, comme s’il avait pompé la vie en elle. Il peut faire illusion car il souffle le chaud et froid avec sa victime, enchaîne compliment et dévalorisation, félicitation et reproche. A tel point qu’il peut donner l’impression, pour un œil non averti, qu’il a un bon fond ou qu’il a du remord. Mais il n’a, en fait, aucun état d’âme. Il est sans pitié. Il n’a aucune compassion, ni aucune culpabilité. Il la projette au contraire sur sa victime qui, de facto, se sent coupable d’un crime dont elle est la victime, tandis que son agresseur nie les faits. « Le but d’un individu pervers, explique Marie-France Hirigoyen, est d’accéder au pouvoir ou de s’y maintenir par n’importe quel moyen, ou bien encore de masquer sa propre incompétence ». Une fois qu’il a le pouvoir, il en abuse. Et plus de « la quête du pouvoir, il y a surtout une grande jouissance à utiliser l’autre comme un objet, comme une marionnette »
Comment détecter un harcèlement moral – Les entreprises doivent empêcher autant que faire ce peut qu’un pervers, détecté comme tel, ne sévisse. Savoir détecter le harcèlement moral est une compétence que devrait avoir tout un chacun car il est parfois peu visible à l’extérieur. Il peut être pratiqué sans que l’entourage n’en prenne toujours conscience, pas même la victime. Il existe cependant des signaux d’alerte. Par exemple, quand une personne jusqu’ici efficace et compétente, commence à s’étioler. C’est en l’observant perdre pied et toute confiance en elle, alors que jusqu’ici elle se comportait normalement et donnait satisfaction, qu’on peut s’interroger sur l’influence qu’elle subit. Une suspicion de harcèlement peut également naître à la vue d’un nombre anormalement élevé de démissions, d’un taux de turn over très important ou de dépressions, d’arrêts maladies dans un service ou un département.
Comment y réagir – Il ne faut aucune complaisance face au pervers, ni de la part de la victime, ni de l’entourage. Or trop souvent ce dernier ne s’en mêle pas, sous prétexte que cela ne le regarde pas. Or, dans l’entreprise, c’est aux responsables, témoins de ces agissements, d’intervenir et de veiller à ce que l’agresseur soit neutralisé et la victime respectée. « Il ne faut pas banaliser le harcèlement en en faisant une fatalité de notre société. Ce n’est pas la conséquence de la crise économique actuelle, c’est seulement une dérive d’un laxisme organisationnel », conclut MF. Hirigoyen.
Si la victime est encore en état de réagir, elle doit prendre conscience du jeu du chat et de la souris et essayer de se rendre imprévisible, en réagissant très différemment d’une fois sur l’autre aux agressions, aux humiliations, etc. Dans le film, « Les 3 jours du Condor » de Sydney Pollack, par exemple, le tueur chargé d’éliminer un agent de la CIA incarné par Robert Redford, explique au commanditaire du meurtre que sa mission est difficile car il lui est impossible d’anticiper et de prévoir ce que Redford va faire dans les minutes qui viennent. En entreprise, « la victime doit accumuler les traces, les indices, noter les injures, faire des photocopies de tout ce qui pourrait, à un moment ou un autre, constituer sa défense », conseille la psychiatre. Elle doit dénoncer ce qu’elle vit au quotidien. Elle peut s’assurer le concours de témoins, mais ce n’est pas toujours possible car, par peur des représailles, beaucoup préfèrent se taire.
Une fois alertée, l’entreprise doit mettre le pervers hors d’état de nuire. Comme il est souvent très habile et particulièrement intelligent et parfois très compétent techniquement, la situation n’est pas toujours simple. De plus, il est difficile de prendre sur le fait un pervers car il sait agir en toute discrétion. Il fait preuve, en outre, d’un art consommé de la séduction. L’archétype du genre est Don Juan qui séduit les femmes pour mieux les détruire ensuite.
Pour que le pervers cesse de harceler, il doit sentir sur lui une puissante autorité qui le contraint à arrêter ses agissements. Il démissionne rarement, car son travail est bien souvent sa seule distraction et son seul investissement dans la vie. Si son employeur ne peut ou ne veut pas le licencier, il doit au minimum lui supprimer tout lien de pouvoir avec sa victime et veiller à ne lui octroyer aucune position hiérarchique, aucune responsabilité d’équipes. Comme le pervers « se nourrit » du mal qu’il fait, il est probable qu’il trouvera d’autres victimes pour lui donner le sentiment d’exister. Inutile de le faire accompagner dans l’espoir de le voir se bonifier, tout simplement parce qu’il n’éprouve ni remord, ni culpabilité et nie d’ailleurs ses actions. D’ailleurs, il risquerait de manipuler celui ou celle supposé l’aider à évoluer. Il n’existe donc aucun levier pour le faire changer.
[1] Auteur – « Le harcèlement moral – La violence perverse au quotidien » – Ed. Syros / Le Harcèlement moral dans la vie professionnelle – Marie France Hirigoyen – Paris, Pocket, 2002
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