Les cadres atteints par ce trouble croient ne pas mériter leurs attributions. Du coup, ils vivent dans l’angoisse permanente de l’échec et la crainte d’être « démasqués ».
Recruté comme consultant dans une SSII, Pierre a été promu manager seulement quelques mois après son embauche. Une bonne nouvelle… du moins en apparence. Car lorsqu’il se confie à ses proches, cet homme de 43 ans affirme ne pas être à la hauteur des responsabilités qui lui ont été confiées. Il est ainsi persuadé que son patron se leurre sur ses capacités, qu’il ne dispose pas des compétences requises pour le poste, que son travail est de mauvaise qualité… Avec la conclusion qui s’impose naturellement à son esprit : il finira forcément par échouer, et se couvrira de honte et de déshonneur.
Un manque d’estime de soi. Pierre souffre d’un mal fort répandu en entreprise, identifié par les chercheurs en ressources humaines et par les coachs sous le nom de «syndrome de l’imposteur». Ce trouble touche en général des individus assez haut placés, qui réussissent dans leur carrière mais qui sont incapables de se reconnaître des qualités. «Ils expliquent leur succès par la chance, le travail acharné ou des facteurs superficiels comme le fait d’être beaux et sympathiques, souligne Manfred Kets de Vries, chercheur à l’Insead. Certains sont d’incroyables travailleurs, préparés plus qu’il n’est nécessaire. Pourtant, ils vivent dans la crainte perpétuelle de ne pas être en mesure de répondre à ce qu’on attend d’eux.» Pour résumer, ces personnalités peuvent réussir, car elles sont bel et bien qualifiées pour le poste qu’elles occupent, mais elles souffrent d’un cruel manque d’estime de soi. Lorsqu’elles réussissent, elles invoquent un malentendu ou la chance. En cas d’échec, c’est forcément de leur faute.
Le concept du syndrome de l’imposteur a fait son apparition en 1978 grâce aux travaux menés par Pauline Rose Clance et Suzanne Imes auprès de cadres dirigeantes. Les deux chercheuses ont voulu comprendre pourquoi certaines d’entre elles se montraient incapables d’assumer leur réussite. Historiquement, donc, le phénomène a d’abord été détecté chez les femmes. Mais, depuis les premiers travaux, des études ont montré qu’il touche tout autant les hommes et près de 3% des dirigeants.
Bien que ce trouble soit courant, il ne faut pas le voir partout. Nous pouvons tous à un moment donné nous interroger sur notre légitimité au poste que nous occupons ou nous demander si nous allons être à la hauteur d’une tâche, notamment à l’occasion d’une promotion, d’un changement d’entreprise, d’un nouveau projet ou d’une conjoncture difficile. Pour la plupart des individus, le doute est transitoire. Mais, chez les personnes vraiment atteintes, il persiste et peut conduire à des échecs, des démissions, des burn-out ou des dépressions. Autre écueil : attribuer le syndrome de l’imposteur aux… véritables imposteurs. Manipulateurs, ces derniers ont endossé un costume trop large pour leurs épaules et trichent en connaissance de cause pour masquer leur incapacité.
Les perfectionnistes vulnérables. Dans la plupart des cas, le syndrome concerne des individus placés en situation de minorité. Par exemple, un PDG autodidacte entouré de collaborateurs diplômés de grandes écoles ou une femme siégant seule au milieu d’hommes dans un conseil d’administration. Il touche aussi les grands perfectionnistes, qui vivent avec un sentiment d’insatisfaction permanent par rapport à la qualité du travail fourni, ou encore les individus qui ont eu une progression de carrière très rapide, et dont l’estime de soi n’a pas crû aussi vite que leur niveau de responsabilité ou de rémunération.
Mais bien souvent, le problème s’enracine dans des causes psychologiques profondes. Certains travaux insistent sur l’importance du contexte familial. Le fait d’avoir été élevé par des parents désavantagés socialement peut donner à un enfant le sentiment, une fois adulte, que sa réussite est en décalage avec ses origines. D’autres individus, au contraire surprotégés, ne réussissent jamais à couper le cordon. Ils se montrent alors incapables de s’émanciper par rapport à une figure parentale écrasante. Quant aux filles dont les parents ont accordé plus d’importance à l’éducation des garçons, elles sont davantage susceptibles de douter de leurs capacités professionnelles.
Sabotage de carrière. Source de stress, de culpabilité et d’angoisse, le phénomène de l’imposteur est très difficile à détecter. De peur d’être «démasqués», les individus qui en souffrent vivent dans la dissimulation permanente, usant de différents stratagèmes pour gérer leur malaise. Il y a d’abord ceux qui pratiquent la stratégie de l’esquive. Au moment de rendre des comptes, ils disparaissent : ils partent en vacances, déclarent des arrêts maladie ou quittent leur boîte pour une autre société, accumulant les expériences professionnelles.
D’autres, au contraire, se réfugient dans le travail, persuadés que les heures supplémentaires compenseront leur incompétence supposée. Ces «workaholics» risquent l’épuisement professionnel. Certains pratiquent la procrastination, remettant toute décision ou action à plus tard, au risque que leur comportement ressemble à celui d’un véritable imposteur. Enfin, et c’est le scénario le plus tragique, quelques-uns en arrivent à se mettre en situation d’échec pour se décharger du sentiment de culpabilité. On parle alors de sabotage de carrière.
En général, les personnes atteintes ne sont pas conscientes de leur problème. Elles se croient véritablement incompétentes, alors qu’il s’agit d’une simple vue de leur esprit. Pour supprimer cette croyance et leur redonner l’estime d’elles-mêmes, les coachs préconisent des exercices, comme établir, chaque jour, la liste de trois actions conduites avec succès.
Comment détecter un syndrome de l’imposteur
> Le sujet minimise son succès. Vous l’entendrez dire “je n’y suis pour rien”, “j’ai eu de la chance”, “tout le monde en est capable”.
> Il travaille de façon excessive.
Son investissement en temps et
son implication sont si démesurés qu’il risque de faire un burn-out.
> Il diffère les décisions. Du moins celles qu’il juge importantes, de peur d’être démasqué. Cela n’a rien à voir avec de l’incompétence.
> Il s’inquiète d’être promu. Au lieu de se réjouir d’avoir été choisi, il
ressent un malaise et se demande : “Qu’ont-ils bien pu me trouver ?”
> Il s’éclipse souvent. Au moment de rendre des comptes, il pratique
la stratégie de l’esquive en posant, par exemple, des jours de congé.
Comment aider un collaborateur qui en souffre
> Mettez l’accent sur ses qualités. Lors des évaluations, insistez
davantage sur les points positifs du travail que sur les axes de progrès.
> Surveillez ses horaires. Faites preuve d’une vigilance discrète
et corrigez le tir en lui interdisant
de partir à des heures indues.
> Evitez-lui les défis trop lourds.
Et mettez à sa disposition toutes
les ressources possibles pour lui permettre de réussir.
> Expliquez clairement votre choix. Dites les raisons qui ont motivé votre décision en vous appuyant sur des éléments concrets de réussite.
> Recadrez-le si besoin. Acceptez l’absence une fois, mais pas deux. Lors de l’entretien, montrez-vous ferme, sans chercher à l’enfoncer.
Propos recueillis par Claire Derville
Capital – 29/10/12
Source : www.capital.fr/carriere-management/coaching/syndrome-de-l-imposteur-quand-la-modestie-devient-pathologique
… C’est aussi la difficulté à trouver le point d’équilibre entre la simplicité et l’humilité qualités reconnues aux personnes intelligentes, et le « show off »,poudre aux yeux lancée par ceux occupant le terrain, sans forcement affirmer sur le fond de vraies compétences !