livre1Prendre conscience de l’influence de notre éducation dans nos comportements en entreprise est l’un de mes chevaux de bataille. Certaines manières de faire à l’école nous jouent des tours dans notre vie, notamment professionnelle. Un extrait de mon livre sur la question.

Outre un travail pour favoriser davantage la prise de risque, la transparence dans les échanges, les critiques constructives plutôt que le jugement, la liberté dans l’expression des points de vue ou le développement de la créativité, le système éducatif doit participer à l’évolution d’autres comportements. Il doit répondre aux besoins de la société, sans pour autant succomber aux effets de mode ni perdre certaines de ses valeurs.

Promouvoir le travail d’équipe et l’innovation– Tout d’abord, le travail d’équipe favorise la capacité d’innovation. « Certains pays savent davantage s’adapter et expérimenter que nous, comme la Finlande, le Canada ou Singapour », constatait François Taddei[1], lors d’une conférence organisée par l’Institut Montaigne autour de l’échec scolaire. Leur force ? Faire travailler les élèves ensemble sur des projets. Pour le chercheur, les réponses, les propositions de changement doivent venir d’en bas et être accompagnées par en haut. Or, dans l’Hexagone, c’est plutôt l’inverse qui se produit, constate-t-il. « La dynamique de changement est plus importante que les modalités de changements. Il faut absolument donner aux étudiants la possibilité d’innover et de s’approprier les nouvelles technologies», ajoute-t-il.

Renforcer la solidarité – La solidarité, qui fait la force et le succès des équipes, est encore souvent trop peu encouragée à l’école et dans les études supérieures; contrairement aux grandes universités anglo-saxonnes qui encourage la participation à une activité de groupe (faire partie d’un orchestre, pratiquer un sport d’équipe, etc.). L’art ou le sport ont, chez eux, leur lettre de noblesse ; ces deux matières étant considérées comme utiles à un meilleur équilibre de vie et une ouverture sur le monde et les autres. A travers ces disciplines et les compétitions (sportives ou autres), les étudiants apprennent les notions de solidarité, de coopération, d’efforts collectifs et de développe le sentiment d’appartenance.

Plus de responsabilisation des jeunes – Contrairement à ce qui se passe Suède ou aux Etats-Unis, où les enfants, responsabilisés plus tôt, choisissent les matières qui les intéressent, chez nous, les jeunes bénéficient de moins de liberté. Du coup, ils n’apprennent pas ou peu à être acteurs de leur carrière, à développer leur imagination et à prendre des initiatives. Beaucoup ont une vision assez rectiligne de leur possible parcours et se ferment eux-mêmes des portes, une attitude qu’on retrouve chez certains cadres, comme le déplore Françoise Rey. Ceux-là ont l’impression qu’ils ne peuvent ni faire quelque chose de nouveau, ni changer d’environnement. D’autres, au contraire, vont avoir du mal à faire des choix par peur de s’enfermer. L’école doit donc les aider à se projeter dans le futur.

Renforcer la confiance en soi – On sait que pour réussir, il faut avoir confiance en soi (cf. chapitre 9). Le système éducatif doit essayer de la développer et de la renforcer; ce d’autant qu’un phénomène de société préoccupant est apparu ces dernières années dont on ne mesure pas encore les conséquences sur l’entreprise: le différentiel de réussite entre garçons et filles s’est très sensiblement accentué au profit de ces dernières, comme si les premiers avaient perdu en confiance en eux. « Les performances des filles sont, partout dans le Monde, en moyenne bien supérieures à celles de leurs homologues masculins, à l’exception des Caraïbes, de l’Amérique Centrale, de certaines régions d’Inde, d’Haïti…. où l’accès aux études est restreint pour elles», souligne Claude Sauvageot, chef de la Mission aux relations européennes et internationales  à la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance du Ministère de l’Education Nationale. « Cependant l’écart de réussite entre les sexes est tout particulièrement fort en France, puisqu’elles obtiennent au Bac en moyenne 12 points de plus que les garçons ». De tout temps, les filles ont été plus sérieuses et plus consciencieuses, « mais un nombre de plus en plus important de garçons semble renoncer à réussir ce qui devient inquiétant. Ils supportent de plus de mal l’échec scolaire et au lieu de le combattre, ils n’investissent plus l’école qui, à leurs yeux, a une image négative.» Quelles seront à terme les conséquences de cette tendance sur la société en général et les entreprises, en particulier. Nul ne peut encore le dire.

Vers une pédagogie plus ludique – Par ailleurs, notre pédagogie s’appuie encore trop souvent sur des notions uniquement d’effort et de souffrance, en référence à la Bible « tu gagneras ton pain à la sueur de ton front »[2]. L’exemple de l’enseignement des langues en France illustre cette notion d’effort qui prime sur celle de plaisir. Au lieu de familiariser l’élève à une langue étrangère par sa mélodie, en écoutant, par exemple, des chansons, l’enseignement se focalise souvent d’abord sur la grammaire. Or, une pédagogie plus ludique diminue la peur de l’échec et du jugement, enjeu majeur pour libérer la créativité et la capacité d’innovation. L’apprentissage se fait alors dans le plaisir, et non plus sous la menace de la sanction.

Célébrer la réussite, récompenser les mérites devrait être une attitude plus répandue car elle augmente le dynamisme et la motivation des équipes. Nous pourrions, à l’instar de ce qui se fait aux États-Unis, célébrer les petites et grandes réussites des élèves. « Là-bas, les parents en sont informés, comme le raconte un dirigeant français après plusieurs années d’expatriation aux USA. L’enfant est respecté dès son plus jeune âge en tant que personne qui pense par lui-même. Il est responsabilisé très jeune ». Une DRH française qui, elle aussi, a vécu aux États-Unis, confirme : « les Américains mettent l’accent sur les points positifs, encouragent les enfants. L’école est un terrain de jeux pour eux. Ils ont du plaisir à y aller car ils y sont valorisés». Certes, les Américains peuvent en faire un peu trop en matière de félicitations et de compliments et leurs enfants acquièrent généralement moins de culture générale que chez nous, mais leur système a l’avantage de favoriser une vision plus positive de leur avenir.

Repenser notre éducation, en s’inspirant d’autres cultures et notamment du modèle anglo-saxon, pourrait nous enrichir. Nous pourrions ainsi diversifier nos comportements, remettre en cause ceux qui ne nous paraissent pas ou plus adaptés. Le chemin du changement en serait facilité.

[1] Ingénieur devenu généticien, François Taddei est chercheur en biologie des systèmes à l’Inserm.et spécialiste reconnu de l’évolution.
[2] Bible – Genèse (chapitre 3, verset 19)