Le témoignage de Sophie Bellon, membre du CA de Sodexo et future présidente du groupe (elle sera nommée en 2016) au Huffington Post me paraît tout à fait intéressant. Elle parle de sa propre expérience et donne quelques conseils aux femmes dans leur vie professionnelle, comme le fait de développer leur assertivité, de défendre leurs convictions, d’exiger le respect, d’accepter leur succès, de s’amuser au travail…
Une de ses remarques me semble particulièrement juste ; je la cite:
« La définition actuelle de la réussite -basée sur le surmenage comme symbole d’honneur et de virilité- a été largement créée par les hommes. Et que les femmes, habituées à concilier leur vie professionnelle et personnelle construisent une idée plus englobante et plus durable de ce qui constitue la réussite. Beaucoup de demandes portées à l’origine par des femmes (télétravail, horaires flexibles, congés parentaux, meilleur équilibre vie professionnelle/vie privée …) bénéficient aujourd’hui aux hommes, qui n’imaginaient pas eux-mêmes les revendiquer. Et je suis persuadée que la génération de mes enfants, hommes et femmes qui accèdent aujourd’hui au monde du travail et intègrent la vie personnelle comme une donnée fondamentale d’épanouissement, fera encore bouger les lignes de la « réussite ». »
Par Sophie BellonInterview de Sophie Bellon
Par hasard biologique, je suis née femme. Et fille de grand patron. Par envie je suis devenue mère de quatre enfants et j’ai mené de front une carrière de management à haut niveau. J’ai été incroyablement privilégiée. Et pourtant je garde aujourd’hui encore le sentiment qu’être femme et manager est un combat de tous les instants.
Contre soi-même d’abord. Contre la culpabilité de rentrer du travail parfois à 22h, souvent après 20h et de ne pas passer assez de temps avec ses enfants. Contre la culpabilité aussi grande de partir en vacances en famille en ayant le sentiment d’abandonner ses dossiers -et ses équipes.Dans les années 90, lorsque j’ai accédé à mes premiers postes à responsabilité, il n’y avait pas beaucoup de femmes aux postes de management autour de moi. Et pour les dirigeants, l’équilibre vie professionnelle et vie familiale n’était pas un sujet: on n’en parlait pas! Nous, femmes dirigeantes (très peu!) vivions ce tiraillement de manière solitaire, comme un problème personnel qui ne concernait pas l’entreprise. Il y a une dizaine d’années, lorsque Michel Landel (DG de Sodexo) -qui arrivait des Etats-Unis où le sujet de la mixité dans l’entreprise était une évidence- a organisé la première réunion sur ce thème avec les dirigeants du Groupe, c’était révolutionnaire. Peut-être même encore plus pour nous, françaises et européennes, qui avions l’habitude d’assumer notre double vie en silence.
C’est aussi évidemment un combat contre les stéréotypes. Il y a 5 ans, lorsque j’ai pris le poste de Directrice Générale d’une grande filiale du Groupe Sodexo en France, je me suis retrouvée moi, la « fille du patron », entourée de 20 hommes. Quand je me suis étonnée qu’aucune femme ne siège au comité de direction et qu’aucune n’occupe un poste de directeur régional, on m’a rétorqué que « ce n’est pas un métier pour les femmes »! Cette phrase m’a marquée profondément.
Je suis alors devenue partisane d’une politique volontariste: j’ai voulu que pour tout poste il y ait au moins 50% de candidates. Souvent, elles ne sont pas dans le parcours classique et il faut aller les chercher ailleurs. Parfois on me répond que c’est une promotion à risque. Mais quelle promotion n’est pas à risque? Accéder à des responsabilités managériales de haut niveau est toujours un défi. Pour un homme aussi! Aujourd’hui, je suis fière de dire qu’il y a 5 femmes sur 13 directeurs régionaux dans la filiale Sodexo que j’ai dirigée en France.
Bien sûr, les quotas ne sont pas une solution idéale, mais ils ont le mérite de lancer une dynamique et de créer des roles models. Nous avons tous et toutes, partout dans le monde, besoin de figures inspirantes qui nous montrent les voies de la réussite, qui créent l’ambition, qui donnent espoir en l’avenir. J’ai eu la chance, dans ma famille, d’avoir plusieurs modèles féminins très forts et indépendants: ma mère tout d’abord mais aussi mes grands-mères. Dans le milieu professionnel, où les schémas d’évolution de carrière ou de management sont éminemment masculins, valoriser des roles models féminins permet de motiver les salariées et d’attirer de nouveaux talents. Il ne faut pas avoir peur d’aller à l’encontre des modèles dominants, peur de faire différemment.
Ce n’est pas un risque, c’est une richesse. Une femme, même dirigeante, ose dire quand elle ne comprend pas. Dire « Je ne sais pas, vous savez mieux que moi », c’est déstabilisant au départ pour les collaborateurs habitués à un management hiérarchique classique. Mais l’expérience m’a prouvé que c’est infiniment plus constructif. Pour autant, je pense qu’il faut se méfier des comparaisons entre les modes de management féminins et masculins. Comparer, c’est aussi risquer de retomber dans les stéréotypes, qui ne sont jamais loin. Si les femmes sont décrites comme des manageuses plus empathiques ou chaleureuses, ce n’est pas par déterminisme génétique, c’est peut-être tout simplement parce qu’accéder à de nouvelles fonctions, et sans modèle auquel se référer, implique de remettre en question des années de pratiques établies. On peut être chaleureux et efficace! Embaucher et promouvoir les femmes ce n’est pas qu’une conviction personnelle, c’est aussi créer de la valeur pour l’entreprise.
Les femmes doivent enfin apprendre à s’imposer, à se projeter dans la réussite, à s’exprimer avec autorité et confiance pour être traitées différemment. Dans leurs prises de parole, dans leurs ambitions d’évolution professionnelles, dans leur revendications salariales. Quand une femme prend la parole en réunion, on ne l’écoute pas. Quand on dit à une femme « On pense à vous pour ce poste », elle tombe de sa chaise. Il faut commencer par la relever et la rassurer!
C’est une question d’éducation aussi, et plus largement une question sociale, qui concerne également au premier chef les hommes. Si les managers hommes ne sont pas impliqués dans cette démarche et convaincus que c’est un sujet stratégique pour l’entreprise, rien ne pourra avancer. C’est aussi une question de couple. Nous sommes implantés dans certains pays où les femmes n’ont même pas le droit de travailler sans l’accord de leur mari… Dans les pays occidentaux, le problème n’est bien sûr pas aussi extrême, mais un manque de soutien du conjoint peut suffire à briser une évolution professionnelle.
En réalité, nous sommes dans une transformation profonde qui n’affecte pas seulement les femmes, et qui deviendra je le pense un modèle pour tous les autres sujets de la diversité. Comme Ariana Huffington, je pense que la définition actuelle de la réussite -basée sur le surmenage comme symbole d’honneur et de virilité- a été largement créée par les hommes. Et que les femmes, habituées à concilier leur vie professionnelle et personnelle construisent une idée plus englobante et plus durable de ce qui constitue la réussite. Beaucoup de demandes portées à l’origine par des femmes (télétravail, horaires flexibles, congés parentaux, meilleur équilibre vie professionnelle/vie privée …) bénéficient aujourd’hui aux hommes, qui n’imaginaient pas eux-mêmes les revendiquer. Et je suis persuadée que la génération de mes enfants, hommes et femmes qui accèdent aujourd’hui au monde du travail et intègrent la vie personnelle comme une donnée fondamentale d’épanouissement, fera encore bouger les lignes de la « réussite ».
Aux femmes d’aujourd’hui, j’ai envie de dire qu’elles peuvent atteindre des postes de haut niveau. Qu’elles ne doivent, pas plus que leurs homologues masculins, avoir à faire de choix entre leur vie professionnelle et privée. Qu’elles ne doivent pas non plus sentir de pression supérieure aux hommes lorsqu’elles accèdent à des postes de management.
Aujourd’hui, je me sens une femme libre. Je fais ce que j’ai envie de faire et n’agit pas en fonction de codes qui trop souvent encore nous influencent, que l’on soit femme …ou homme d’ailleurs!
Je souhaite à toutes les femmes de ressentir cela dans leur vie professionnelle. Je le souhaite aux hommes également, et aux entreprises car c’est la mixité elle-même qui est une source d’équilibre. La diversité est l’avenir du management, car l’entreprise, comme toute forme de société, ne peut évoluer durablement en discriminant la moitié des humains qui la composent.
Exigez le respect. Acceptez vos succès. Soyez indulgents avec les autres comme avec vous-mêmes. Affirmez vos convictions. Apprenez des autres. Profitez de vos proches. Amusez-vous au travail. Existez par et pour vous-mêmes. Ne lâchez rien. Faites-le pour vous. Faites-le pour votre entreprise.
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